Villa Goebbels
L'entrée de la villa du ministre nazi de la propagande. (Photo : Christophe Bourdoiseau)

Raser la villa Goebbels ?

À une trentaine de kilomètres au nord de Berlin, dissimulée derrière une clôture brinquebalante, une bâtisse fantomatique attend les visiteurs les plus curieux — ou les plus intrépides. C’est la « villa de Goebbels », une demeure abandonnée au milieu des bois du Brandebourg, où l’histoire semble s’être figée, dans le silence de la forêt et le poids du passé.

Pendant trois décennies, elle a été livrée aux squatteurs, aux voleurs et aux nostalgiques du IIIe Reich. Un décor de cinéma, si ce n’était la réalité. Des meubles ont disparu, jusqu’au barbecue en acier inoxydable de 300 kilos, arraché de la terrasse arrière. Seule la robinetterie est encore en bon état, souffle le gardien du site, comme un clin d’œil ironique à l’histoire.

 

Un nid d’amour au cœur des ténèbres

La maison, une imposante construction de 30 pièces, appartenait à Joseph Goebbels, ministre de la Propagande d’Hitler. Dans son journal, il parle de cette retraite sylvestre comme d’un havre de paix. Novembre 1936 : « Autour de moi, il y a la forêt, les feuilles qui tombent, la brume et la pluie. Une idylle de solitude. »

C’est ici qu’il venait se « reposer », écrire ses discours et recevoir ses maîtresses issues du monde du spectacle — un monde qu’il contrôlait aussi, via la censure culturelle. D’où le surnom donné par ses proches : le nid d’amour. Mais derrière la façade romantique se cache l’ombre du crime. Quelques jours après la Nuit de Cristal, il écrit depuis cette même villa : « La peste juive doit être éradiquée. Sinon, on dort tellement bien au milieu de la forêt. »

Un site abandonné… mais pas sans visiteurs

Aujourd’hui, le lieu attire surtout des photographes amateurs, des tagueurs ou quelques marginaux. Les journalistes, eux, sont persona non grata : « À chaque article publié, l’endroit est vandalisé », explique Katja Cwejn, porte-parole de la société immobilière BIM, en charge de la gestion du site.

Berlin, lasse de payer 120 000 euros par an pour sécuriser la ruine, veut en finir. « Il est désormais clairement question de démolir », a déclaré le 20 mais 2025, la directrice générale du BIM, Birgit Möhring qui compte s’imposer devant la justice si la commission des monuments historiques s’y opposait.

En mars 2024, le maire-adjoint aux Finances, Stefan Evers (CDU), avait dit qu’il serait prêt à céder le domaine à « quiconque le voudrait ». Une autre idée aurait été avancée : prêter la villa à la police fédérale pour des exercices de combat urbain.

Un terrain où se croisent deux dictatures

La villa goebbels

Mais le lieu ne se limite pas à l’histoire nazie. Après 1945, la RDA y a implanté un centre pour la jeunesse communiste (FDJ), conçu par l’architecte de l’avenue Staline (l’actuelle Karl-Marx-Allee). Le lieu a vu défiler les délégations révolutionnaires du monde entier : combattants de l’OLP et sandinistes nicaraguayens s’y croisaient. Les arbres gardent encore les traces de leurs idylles gravées au couteau. Dans les caves, la Stasi (police politique est-allemande) écoutait tout ce que disait les « élites communistes ».

« On ne peut pas renaturer l’histoire de deux dictatures », s’insurge Thomas Drachenberg, chargé de la préservation du patrimoine pour le Land de Brandebourg. Le danger, selon la commune de Wandlitz, serait de laisser le site à la merci de l’extrême droite. Des militants du mouvement des « Reichsbürger », qui prônent le retour de l’Empire, ont déjà tenté de racheter le terrain.

Quel avenir pour la villa ?

Université, école privée, hôtel-spa, centre fédéral ? Trop cher. Le domaine est isolé, sans eau courante ni électricité, et les coûts de chauffage sont vertigineux. « Investir ici sans projet politique serait suicidaire », tranche Olivier Bourdais, consultant français du marché immobilier berlinois. « Et Berlin n’a pas les moyens. Elle peine déjà à entretenir ses parcs et ses écoles. »

Une idée fait cependant son chemin : transformer la villa en centre de documentation sur la propagande. « Ce serait une réponse directe à l’histoire du lieu », estime Jürgen Danyel, historien au centre Leibniz de Potsdam.

Mais pour cela, il faudrait l’accord de Berlin, du Brandebourg, de la commune, du district, de l’administration du patrimoine. Une usine à gaz administrative. « C’est un cauchemar kafkaïen », résume Bourdais avec un sourire las.

Y aller (avec prudence)

Le site n’est pas ouvert au public, officiellement, mais il est possible de s’y rendre comme promeneur (me demander l’adresse si intérêt). Pour les amateurs d’histoire contemporaine, de lieux oubliés et de balades en forêt hantée par les spectres du XXe siècle, l’endroit reste une curiosité saisissante. Entre propagande, mémoire et ruines, une villa où l’histoire pèse lourd, très lourd.

Christophe Bourdoiseau