Berlin Kreuzberg
Le farniente, la spécialitée de Kreuzberg. (Photo : Christophe Bourdoiseau)

Kreuzberg, irréductible, turc et alternatif

On l’a cru perdu. Après la chute du Mur, certains annonçaient la fin de Kreuzberg, quartier mythique des squats et des artistes. Mais non : le bastion alternatif s’est relevé, plus vibrant que jamais ! Tandis que Prenzlauer Berg et Friedrichshain se laissent doucement bercer par la gentrification, Kreuzberg reste fidèle à son esprit frondeur.

Ici, les galeries pointues côtoient les friperies, les cafés cosy bordent les ateliers d’artistes, et les stands de street food parfument les rues de mille saveurs. Un tiers des habitants sont d’origine turque : on surnomme d’ailleurs le quartier “la petite Istanbul”. Un métissage qui fait toute la richesse de Kreuzberg.

Autrefois périphérique, enclave encerclée par le Mur, le quartier se retrouve aujourd’hui en plein cœur de Berlin. Mais ce retour au centre a un prix : l’envolée des loyers pousse peu à peu les habitants les plus modestes vers la périphérie. Kreuzberg résiste, mais la pression est là. Raison de plus pour s’y promener maintenant, avant qu’il ne change encore.

Autour de Bergmannstrasse, le chic décontracté

C’est l’un des quartiers les plus prisés de Kreuzberg. Autour de la Bergmannstrasse, les façades néoclassiques sont impeccablement rénovées, les épiceries bio pullulent et les familles bobo prennent leur café en terrasse, enfants et poussettes à portée de main. Ici, les rues pavées sentent le muesli et l’éthique : marché bio au Marheinekeplatz, librairies indépendantes, restaurants végétariens à la mode. Mais malgré ce vernis de bien-être middle-class, le quartier a gardé un certain charme bohème. Les artistes sont toujours là, même s’ils doivent désormais partager l’espace avec les jeunes cadres dynamiques.

Bethanien, le cœur militant de Kreuzberg

Kreuzberg
Les lieux de la révolte de années 70 et 80 (Photo : Christophe Bourdoiseau)

Au cœur du Berlin des années 70 et 80, Bethanien incarne l’esprit rebelle d’une époque. Ancien hôpital reconverti en bastion culturel, il devient le théâtre des squats, des débats politiques et des utopies communautaires. C’est là que Rio Reiser, icône du rock contestataire, donne voix aux oubliés, aux punks, aux marginaux. Sur les murs tagués, les slogans anarchistes répondent aux accords de guitare. L’État observe, réprime parfois, mais le souffle alternatif résiste. Entre Mauer et Maybachufer, Bethanien reste une enclave libre, où l’art, la musique et la révolte s’entrelacent dans un chaos créatif devenu mémoire vivante.

Wrangelkiez, l’énergie brute

Plus à l’est, entre le Görlitzer Park et la Spree, le quartier de Wrangelstrasse vibre jour et nuit. Les clubs, les bars de rue, les galeries improvisées… tout semble en mouvement. Le street art s’impose sur chaque façade, les pistes cyclables se remplissent à la moindre éclaircie. Non loin de là, la Weserstrasse, dans la continuité vers Neukölln, suit la même dynamique : une nouvelle adresse tendance y remplace l’ancienne en quelques semaines. La jeunesse internationale s’y donne rendez-vous pour réinventer Berlin, bière artisanale à la main.
Café am Engelbecken, l’oasis cachée

Et puis il y a ces coins presque secrets, loin de l’agitation. Le Café am Engelbecken, par exemple, niché entre béton, vieilles pierres et verdure, offre un moment suspendu. À quelques mètres de la bruyante Heinrich-Heine-Strasse, c’est un havre. Au bord du petit plan d’eau, les petits-déjeuners s’éternisent au soleil, les discussions se font feutrées. Un lieu à l’image de Kreuzberg : brut, mais apaisant. Urbanisé, mais poétique.

Kreuzkölln, le carrefour des styles

À la frontière entre Kreuzberg et Neukölln, le surnom “Kreuzkölln” a fini par s’imposer. Et pour cause : c’est l’un des endroits les plus dynamiques de la capitale. La Reuterplatz en est le cœur battant, bordée de cafés design, de coiffeurs alternatifs et de petits ateliers de céramique ou de sérigraphie. Le long de la Weserstrasse, les loyers ont explosé, mais le quartier attire toujours étudiants, artistes en devenir, start-uppeurs. Un melting-pot de styles, de langues et d’attentes – souvent contradictoires.
Bethanien, la mémoire contestataire

Difficile d’évoquer Kreuzberg sans parler du Bethanien. Cet ancien hôpital transformé en centre culturel autogéré a vu passer les squatteurs des années 70, les révoltes étudiantes, les charges policières et les concerts improvisés. Aujourd’hui, le lieu abrite ateliers, expositions, résidences d’artistes. La mémoire des luttes y est palpable, mais le lieu s’est institutionnalisé sans perdre son âme. Le bâtiment en briques, majestueux, reste l’un des symboles les plus forts de l’identité de Kreuzberg.

L’Arena et le Badeschiff, la culture au bord de l’eau

Autre lieu emblématique, l’Arena. Ce complexe culturel, installé sur une ancienne friche industrielle, propose concerts, soirées électro, expositions, marchés et performances. Juste à côté, une piscine flottante sur la Spree – le Badeschiff – permet de nager en plein été avec vue sur la silhouette de la ville. Une autre facette de Kreuzberg : industrielle, festive, expérimentale.

Chamissoplatz, le charme d’un autre temps

Enfin, pour ceux qui pensent que Berlin n’a pas d’histoire visible, direction Chamissoplatz. Cette place et les rues qui l’entourent semblent figées dans le temps. Façades du début du XXe siècle, balcons en fer forgé, silence relatif : on se croirait dans une carte postale d’un Berlin oublié. Un décor intact, discret, presque bourgeois. Mais même ici, Kreuzberg résiste : à la muséification, à l’oubli. Il se transforme sans jamais vraiment disparaître.

Christophe Bourdoiseau