
Le folklore Checkpoint Charlie
Impossible de s’imaginer, à cet endroit, ce que signifie le Mur de Berlin et ses morts. Le panneau « Vous quittez le secteur américain » et la baraque en bois du checkpoint sont des faux. Les étudiants qui posent en uniforme ne savent même pas faire le salut militaire américain. Qu’importe ! C’est la photo que recherchent les touristes ignorants, pas la vérité.
Le théâtre des pires heures de la guerre froide
L’endroit est pourtant symbolique. Ici, les chars américains et soviétiques se sont fait face pendant seize heures, en octobre 1961, menaçant de plonger la planète dans une troisième guerre mondiale.
La victime la plus connue du Mur, Peter Fechter, est morte à quelques dizaines de mètres de là, le 17 août 1962, blessée par balle et agonisant dans son sang pendant cinquante minutes.
En 1990, quelques mois après la chute du Mur, plus personne ne voulait voir ces blocs de béton gris sous ses fenêtres. On voulait tourner la page. Et vite.
Un dysneyland de l'histoire
À Checkpoint Charlie, le point névralgique de la guerre froide, la ville a fait un choix radical : tout privatiser. Résultat : ce symbole du XXe siècle a été envahi par les fast-foods et les boutiques de souvenirs, où l’on peut acheter des « bouts de Mur » dont l’authenticité est plus que douteuse.
Le musée (privé) consacré au Mur, le « Mauermuseum », n’est pas un lieu de mémoire, mais une affaire commerciale. Sa directrice investit surtout dans la billetterie et multiplie les magasins de souvenirs, en augmentant effrontément ses tarifs chaque année, sans se soucier de la qualité misérable de son exposition.
On peut même y acheter, sur place, un morceau de mur « à la découpe », dans du béton soi-disant original ! L’affaire rapporte : près d’un million de visiteurs par an se pressent dans des boutiques de souvenirs pleines à craquer (T-shirts, Trabant en plastique, etc.). « C’est vrai, il n’y a rien à voir. Mais on voulait voir ce symbole », se justifient souvent les touristes.
Checkpoint Charlie ne dit rien sur le Mur

Pour comprendre vraiment ce que signifiait le Mur, il faut se donner la peine d’aller là où subsiste encore une « frontière » dans son intégralité, avec no man’s land, tour de contrôle, chemin de ronde et éclairage : dans la rue Bernauer (voir ma visite sur le Mur). Et l’entrée du centre de documentation est gratuite !
Dans les années 90, Berlin ne mesurait pas l’ampleur universelle de ce petit poste-frontière. Comme ailleurs, on a toujours tendance à effacer les traces de la répression, et ce n’est que plus tard qu’on prend conscience de l’importance des lieux de mémoire (les Français ont détruit la prison de la Bastille !). Le siège de la Stasi fut lui aussi abandonné, avant de devenir un musée. À cette époque, les Berlinois ne voulaient plus voir de frontière. Ils voulaient des métros qui circulent.
Un vague projet de musée de la guerre froide
Après des années de controverses, Berlin a compris que Checkpoint Charlie resterait la porte d’entrée des touristes dans la ville.
Par chance, les investisseurs se sont ruinés dans de folles spéculations à cet endroit, laissant quelques terrains libres, non construits.
Berlin a donc sauvé son histoire en faisant valoir son droit de préemption. Mais la ville a racheté à prix d’or des terrains qu’elle avait cédés pour une bouchée de pain dans les années 90.
La mairie (Sénat) a imposé un plan de réaménagement du site, avec la construction d’une place publique et, surtout, trente ans après la chute du Mur, d’un musée de la guerre froide.
L’objectif est d’orienter les touristes vers d’autres lieux de la guerre froide à Berlin. Mais, pour l’instant, le projet est au point mort.
Christophe Bourdoiseau